Mais que se passe-t-il avec nos salmonidés en France ? Chaque année entre janvier et avril, de nombreux cours d’eau font face à une importante mortalité piscicole. Le Doubs franco-suisse, la Touvre, la Sorgue, la Bienne en 2024 et récemment la Loue font partie des cours d’eau les plus touchés ces dernières années. Vous avez peut-être vous-même constaté sur certaines rivières des dizaines de truites ou ombres recouverts d’étranges taches blanches. Ce sont les indices d’une maladie mortelle, pouvant affecter l’ensemble des poissons d’eau douce : la saprolégniose.
La saprolégniose : une infection cutanée causée par un « champignon »
C’est elle la cause directe de ces hécatombes constatées sur nos rivières. Elle est provoquée par des micro-organismes de la classe des Oomycètes (champignons) issus de la famille des Saprolegniaceae. Les connaissances sur les espèces de Saprolegnia, leur pathogénie et le contrôle des infections restent encore mal connues. Ces champignons s’attaquent aux poissons dont la couche protectrice de mucus a été altérée, mais plus encore sur des individus déjà fragilisés par une maladie ou un facteur de stress. On observe alors en premier lieu des petites taches blanches qui s’étendent au fur et à mesure des jours pour former des excroissances blanchâtres à l’aspect cotonneux. Une fois l’épiderme contaminé, la saprolégniose provoque la destruction des couches superficielles et profondes de la peau, entrainant en quelques jours la mort de l’individu.
Si toutes les espèces de poissons (sauvages comme d’élevages) peuvent être atteintes, la famille des salmonidés reste de loin la plus vulnérable à l’infection. Tous les stades de vie des poissons sont impactés mais la maladie semble dévastatrice sur les gros sujets, déjà en proie à d’importantes sources de stress (nous en reparlerons un peu plus loin dans l’article).
Des milieux « contaminés » par cette maladie : origine et transmission
La saprolégniose n’est pas transmissible d’un poisson à un autre, comme cela pourrait être le cas d’un virus. Bien que cela puisse surprendre, les micro-organismes responsables de la maladie sont omniprésents dans toutes les rivières. On les retrouve dans l’eau, mais aussi dans les sols humides. Ils se nourrissent à partir de matière organique en décomposition (ils sont donc dits « saprophytes »). Lorsqu’ils se reproduisent, ils libèrent dans le milieu des spores qui se propagent rapidement et ce sont elles qui peuvent infecter nos chères truites en se fixant sur leur peau.
Les poissons ont une couche de mucus, qui les protège en temps normal des infections de ce type. Cette couche peut être altérée de multiples manières, par exemple à la suite à des frottements mécaniques : un pêcheur ayant manipulé le poisson avec un chiffon. Elle peut également être fragilisée par une blessure, induite par exemple par la fraie naturelle des poissons. La période de reproduction des truites est ainsi particulièrement propice aux infections fongiques car les risques de blessures et de stress sont élevés. Les plus gros épisodes de mortalité chez les salmonidés interviennent ainsi juste après la fraie, entre janvier et mai.
Enfin, il faut s’imaginer qu’un poisson présente des défenses immunitaires, comme nous les êtres humains. Vous remarquerez que nous tombons plus souvent malades lorsque nous sommes stressés : nous dormons moins, nous mangeons moins et nos barrières immunitaires baissent. C’est la même chose pour les poissons ! Lorsqu’ils sont stressés, leurs barrières naturelles deviennent plus fragiles et vulnérables, à commencer par leur mucus qui joue alors moins bien son rôle protecteur. La saprolégniose est donc purement inoffensive sur les poissons sains et non stressés. Elle se présente plutôt comme une épée de Damoclès pour tous les poissons.
Les milieux les plus touchés : causes environnementales et anthropiques
Si tous les milieux sont « porteurs » de micro-organismes Saprolegnia, on est en droit de se demander pourquoi certaines rivières sembles plus impactées que d’autres. Certains facteurs augmentent le risque d’apparition de la saprolégniose. Comme mentionné précédemment, les pics de mortalité surviennent souvent après la fraie des poissons, et plus celle-ci se déroule tard dans la saison, plus le phénomène semble prendre de l’ampleur.
La mauvaise qualité de l’eau et la présence de substances toxiques sont également des sources importantes de stress pour les poissons. De nombreuses études scientifiques, comme celle de Didier Pruneau, pointent les fortes concentrations d’ammoniaque comme un facteur clé. D’autres recherches évoquent l’augmentation des taux de nitrates et de phosphates dans l’eau. Sur la Loue et le Doubs, ces concentrations ont quadruplé en 40 ans, en grande partie en raison des épandages de lisier agricole. Ce dernier, composé des déjections animales, est utilisé comme fertilisant, en particulier au début de l’année pour stimuler la germination des cultures. Le lisier s’infiltre dans les eaux de surface lors des pluies, saturant ainsi les milieux aquatiques en ammoniaque, nitrates et phosphates.
Les filières fromagères, notamment en Franche-Comté, sont également mises en cause. La production de comté a ainsi doublé en 40 ans, atteignant aujourd’hui plus de 65 000 tonnes annuelles. En 2022, une fromagerie a par exemple été condamnée pour avoir rejeté des effluents dans un affluent de la Loue…
Mobilisations et défense de l’environnement