Iguela, 15 décembre 2024. GABON
3 heures du matin, pointe Sud.
Malgré un ciel bien nuageux, la lune nous éclaire suffisamment pour voir les vagues chaotiques de l’océan se fracasser sur les eaux de la lagune. Courants violents, longues trainées d’écume, le poste est plutôt musclé ! C’est la rencontre des eaux salées et de l’eau douce, également contraste de couleurs entre l’eau claire et l’eau teintée. Thomas et Greg lancent non-stop leur Halco Max dans le bouillon et les deux cannes rouges plient régulièrement, principalement sur des capitaines de 8 à 25 kg… Ils se prennent des vagues plein la tête mais la motivation est là !
Richard mon fidèle marin, décroche tous les poissons et les relâche. Juste 2 poissons seront prélevés pour la cuisine. Avec Richard c’est une amitié de 27 ans ! Des centaines de situations incroyables, des centaines d’énormes poissons… on a confiance l’un dans l’autre ! Pour ne pas déranger mes amis, je lance en décalé, dans le profond de la lagune, sur une zone qui pour le moment rapporte peu. Cela dit, mon angle de pêche est plutôt intéressant. Mon obsession pour les tarpons me pousse à propulser mon BKS 175 le plus loin possible. Ce leurre est déjà usé jusqu’à l’armature mais pêche encore ! Ma canne est une Tenryu Quattro en 2m70 qui elle aussi est copieusement usée par les nombreux poissons et les voyages qu’elle a connue au fur et à mesure des années, mais qui en a toujours dans le ventre ! Curieusement, la nuit je lance vraiment très loin, bien plus d’ailleurs que le jour. Motivation tarpon ?
La canne m’aide beaucoup à pêcher correctement et j’essaye d’exploiter au mieux son action ! Je récupère canne plutôt basse, mais avec le talon bloqué sur la cuisse. A la moindre touche, mon ferrage sera musclé ! Vers 4h, c’est en bout de lancer que j’encaisse une grosse touche. Ferrage unique, très puissant. Pas de doute, c’est gros. Le poisson tourne en rond et se lance dans son premier saut. Tarpon ! Je n’aperçois pas la bête mais l’eau qui gicle à 60 mètres de moi est parfaitement visible. Le combat commence et j’essaye de l’amener dans le courant de la lagune pour ne pas déranger mes collègues. Mais ce poisson décide pendant 15 minutes de se bloquer le nez en plein bouillon. Il va visiter les bancs de sable en me vidant pas mal de tresse. J’encaisse encore quelques sauts. Il a sorti de la bobine une bonne centaine de mètre de ma tresse (j’utilise de la X BRAID X018 CASTMAN BLUE X8 en 86 lb). Enfin le poisson fait volte-face, change de direction et s’engage dans le courant rentrant de la lagune. Mes potes peuvent enfin relancer sans risque de m’accrocher ! Au début ce changement de direction est une bonne nouvelle. Je pense à un tarpon de 80/90 kg…ça va le faire !
Je le suis en me déplaçant sur la plage, regagnant ainsi quelques dizaines de mètre de ligne. A un moment, il ne doit pas être loin du bord: au touché, ma bobine est presque pleine ! Probablement à cause du manque de fond, il redémarre sérieusement à ma droite, direction la rivière. Richard part en courant aider à relâcher une paire de beaux poissons pour Thomas et Greg dont les frontales allumées dansent dans le noir. Seul dans la nuit, j’amène une fois de plus le poisson non loin du bord. Et là, un saut, deux sauts et c’est un nouveau démarrage ultra puissant ! Enfin Richard me rejoint. La situation n’est pas top, je me rapproche de la fin de la plage. Après ce sont les arbres baignés par la marée haute, infranchissables. Richard veut aller chercher le bateau mais à cause d’une blessure à la jambe, je ne suis pas sûr de pouvoir monter dedans… Il faudra donc faire sans bateau ! Le tarpon est proche du bord mais loin devant moi. Il saute au ras de la surface, impossible de voir sa taille. A chaque saut, je le rapproche du sable. Je suis assez loin en amont par rapport au courant, l’angle de mon fil l’amène au bord, mais la conclusion est incertaine. Richard court devant, dégage ma tresse d’un premier arbre. Ok, ça va mal ! J’ai largement resserré mon frein, la confiance dans le matériel est primordiale dans ce genre d’action extrême. Pas une fois je n’aurai un doute sur le matériel. Le poisson arrive dans les premiers buissons infranchissables… je fais le max. Et quand je pense que tout est perdu, je vois Richard se baisser et prendre le bas de ligne ! Petit bas de ligne d’un mètre vingt, en Nylon 220 lb. Avec son expérience, il tire doucement et fermement. Il est à 20 m de moi. Et vient cette phrase que je n’oublierai pas :
« Y a problème ! Quoi Richard ? Il se passe quoi ? Requin ? » Non me répond mon complice: « il est gros, le tarpon, trop gros ! »
A la lumière de nos frontales on met au sec le tarpon qui ne bouge plus. Il est allé jusqu’au bout de ses forces. Perso je suis cuit, mes batteries sont vides, on galère à le mettre en sécurité. Le choc visuel est violent. C’est un monstre ! Sa taille pourquoi pas, mais la corpulence est incroyable. Du jamais vu ! Et pourtant des plus de 100 kg on en a vu beaucoup… Celui-là est d’une autre dimension. L’hameçon arrière de mon BKS est bloqué sous la langue. Impossible de le déloger. Je m’aperçois que j’ai encore la canne en main: je peux enfin la poser, c’est fini ! Avec Richard, on le regarde longuement. Je suis fatigué, ma jambe me fait mal, mais qu’importe: il y a là sous nos yeux un poisson totalement hors normes. On retourne voir les copains, on les aide encore et encore à quelques relâches. Je retourne plusieurs fois avant le jour, voir ce poisson dont la taille n’en finit pas de m’impressionner.
Longueur : 2,32m, Tour de taille : 1,36 m !!!! Petite longueur (échancrure de la queue, mâchoire le plus courte): 2,04m. Une fois au camp, la formule française et surtout anglo-saxonne donnera un poids entre 131,5 kg et 132 kg.
Le matériel utilisé :
Canne Tenryu Quattro 2,70m, Moulinet Savage 18000, tresse X BRAID X018 CASTMAN BLUE X8 en 86 lb, leurre BKS 175 et triples Decoy YS : la recette du bonheur !
Ted mon deuxième fidèle marin qui est en face nous rejoint avec les autres pêcheurs. Ils ont pris de magnifiques carpes rouges. Malgré la force de mes amis gabonais, on galère un maximum pour le monter dans le bateau. Encore quelques photos et c’est le retour au camp. Thomas est admiratif, mais il ne sait pas encore que dans deux jours il aura droit lui aussi à une sacrée action sur un superbe tarpon. Mais ça.. c’est une autre histoire !
Ps : A noter, avec une petite pointe d’humour, que mes photos ne sont pas prises avec un grand angle et que je ne me tiens pas 3 mètres derrière le poisson : pas besoin de ça !